La conspiration du silence (2022)

Fin 1996. Émile Louis a purgé sa peine pour des attouchements commis sur de jeunes femmes confiées à la DDASS de l’Yonne. Il vit à Draguignan en paisible retraité avec sa nouvelle épouse. Malgré les révélations de l’émission « Perdu de vue », l’ancien chauffeur de bus tient tête avec aplomb aux journalistes qui le confrontent aux coïncidences troublantes. À Auxerre, le malaise s’enracine. Sous la double pression, médiatique et des familles des disparues, le juge d’instruction saisit la section de recherches de Paris. Mais où sont les preuves ? Une valise au contenu compromettant est retrouvée. L’étau se resserre. Alors que sa vie s’apprête à basculer, Émile Louis confie un douloureux secret d’enfance.

Émile Louis est interpellé chez lui, à Draguignan, en décembre 2000. Placé en garde à vue, il avoue rapidement avoir violé, tué et enterré sept des disparues de l’Yonne. Il sait que les crimes sont prescrits grâce à la lenteur, voire l’aveuglement de la justice. Confiant, il livre un récit détaillé et guide les enquêteurs jusqu’à son cimetière personnel, à Rouvray, petit village près d’Auxerre où le cadavre de Sylviane Lesage a été retrouvé en 1981. Un premier squelette est exhumé et identifié. Les familles sont effondrées, mais restent mobilisées pour le nouveau combat qui se profile : celui contre la prescription. Le juge va-t-il devoir remettre en liberté ce redoutable tueur en série qui se camoufle derrière les traits d’un papy au verbe haut ?

Les disparues ont bien été assassinées. Ce n’était pas une vilaine rumeur. L’Yonne est en état de sidération, mais les langues ne se délient pas pour autant après les aveux d’Émile Louis. Beaucoup ont peur, d’autres sont embarrassés. L’affaire prend un tournant politique avec les inspections ordonnées par les ministres de la Justice et de la Famille. Les rapports sont accablants. L’APAJH et le tribunal d’Auxerre sont dans la tourmente. Mais ces graves dysfonctionnements n’expliquent pas la protection dont semble avoir bénéficié le chauffeur de bus pendant plus de vingt ans. Une vieille lettre refait surface et sème le trouble.

Claude Dunand bénéficie d’une semi-liberté au printemps 2001. Il a purgé seulement treize ans de sa condamnation à perpétuité pour la séquestration et les viols avec actes de torture et de barbarie sur deux jeunes femmes dans la cave de son pavillon d’Appoigny, près d’Auxerre. Entre-temps, les rares témoins directs et identifiés des sévices ont trouvé la mort dans d’étranges circonstances. Sa libération en catimini, six mois après l’incarcération retentissante d’Émile Louis, jette un froid. Les similitudes entre les deux affaires, y compris la chape de plomb et les soupçons de connivences, intriguent plus les journalistes que la justice.

Les aveux partiels d’Émile Louis placent la justice dans une position délicate. Doit-elle enquêter sur des crimes prescrits ? Après le refus de la cour d’appel de Paris, les familles des disparues sont désemparées. Le 20 février 2002, un acte de procédure sauve le dossier et la Cour de cassation rend une décision qui fera date. Deux ans plus tard, l’ancien chauffeur de bus comparaît devant les assises du Var pour les viols de sa belle-fille et de sa seconde épouse alors que dans l’Yonne, les obsèques de deux victimes retrouvées enterrées à Rouvray se déroulent dans l’indifférence générale. Aucun élu n’est venu s’excuser du silence complaisant qui a prévalu près de trente ans. Le procès très médiatisé du tueur de l’Yonne s’ouvre en novembre 2004. Le palais de justice d’Auxerre est pris d’assaut. Les familles ont soif de vérité. Mais le principal témoin, le gendarme Jambert, manque à l’appel.

Christian Jambert est découvert mort par balle dans le garage de son pavillon. L’enquête conclut vite au suicide. La nouvelle ne surprend pas grand monde à Auxerre. L’ancien gendarme était dépressif et isolé depuis longtemps. Obsédé par les disparues de l’Yonne et Émile Louis, il n’est jamais parvenu à prouver le lien. Écarté par sa hiérarchie, il a quitté la gendarmerie décrédibilisé et son mariage a explosé. Mais ses proches sont perplexes. La plainte déposée en 1996 par les familles pour relancer l’enquête était en passe de le réhabiliter. Il devait être entendu par le juge et avait retrouvé le sourire. Le timing ne colle pas et le dossier d’un vide abyssal révèle qu’il n’a jamais été autopsié. Ses enfants réclament de nouvelles investigations. Une star de la médecine légale est requise. Le 2 avril 2004, entre deux procès d’Émile Louis, elle fait une découverte de taille.

Avril 2004. Les résultats de la première autopsie du corps de Christian Jambert, retrouvé mort par balle sept ans plus tôt dans son garage, mettent à mal la thèse du suicide vite privilégiée à l’époque. Pour les légistes parisiens, l’ancien gendarme n’a pas pu s’infliger deux blessures mortelles. La révélation, largement relayée par les médias, fait l’effet d’une bombe à quelques mois du procès des disparues de l’Yonne avec Émile Louis dans le box des accusés. Les nombreuses carences de l’enquête initiale refont surface et l’on s’attend à de nouvelles investigations. À la surprise générale, la justice auxerroise se défend de tout dysfonctionnement et réclame une deuxième autopsie, puis une troisième… Entre guerre d’experts, mystérieuse disparition de scellés et déni de justice, le dossier Jambert tente difficilement de se frayer un chemin vers la vérité.

Les bois de l’Yonne n’en ont pas terminé avec les mystères. En 2018, à Rouvray, près du lieu où avaient été exhumés les corps de deux victimes d’Émile Louis en 2000, un crâne est découvert par des chasseurs. Cinq ans plus tard, l’ADN de parentèle permet de lui donner un nom : Marie-Jeanne Ambroisine C., une mère de famille fragile qui s’était volatilisée en 1975. S’agit-il de la neuvième victime de l’ancien chauffeur de bus ? Depuis 1984, quatre autres cadavres de femmes ont été découverts dans les bois de l’Yonne. Elles ont été tuées mais trois d'entre elles ne sont toujours pas identifiées. La justice d’Auxerre est toujours aussi peu pressée d’enquêter alors que plane encore sur la région l’ombre d’un autre redoutable tueur en série, Michel Fourniret qui avait sévi dans l’Yonne à la fin des années 80.